Avant même l’issue de la COP26, nous savons déjà que la voiture électrique occupe une place centrale dans la stratégie des États afin de lutter contre le réchauffement climatique. Dans le cadre du plan d’investissement France 30, une douzaine de milliards seront consacrés à la « décarbonation de l’économie » et notamment au soutien du secteur automobile pour assurer cette transition. La feuille de route fixée par le Président de la République aux constructeurs automobiles vise ainsi la production de deux millions de véhicules électriques et hybrides par an d’ici 2030. Est-ce véritablement une bonne nouvelle pour l’environnement ?
©Teddy Charti-Unsplash
Le virage vers la mobilité électrique ne fait pas l’unanimité. Alors que les incitations à l'achat de véhicules électriques se multiplient, les partisans de la voiture thermique, mais aussi nombre d’écologistes, reprochent depuis longtemps à la voiture électrique de n’être en rien écolo et de ne faire que déplacer la pollution là où elle est fabriquée. Difficile de s’y retrouver !
Pourtant, les études ne manquent pas sur ce sujet très polémique. Elles se comptent même par dizaines et sont parfois contradictoires, car encore faut-il comparer ce qui est comparable. Une étude fiable et complète sur l’empreinte carbone d’un véhicule, comme pour tout bien de consommation, doit porter sur l’ensemble de son cycle de vie, en prenant en compte sa fabrication, son usage, sa fin de vie et l’approche du « puits à la roue » pour les vecteurs énergétiques. Nous avons choisi celle réalisée en novembre 2020 par le cabinet Carbone 4 reconnu pour son expertise. Objectif : savoir, enfin, si la voiture électrique est un véhicule propre !
Voiture thermique vs voiture électrique : le bilan carbone global
Ne faisons pas davantage durer le suspense : le bilan carbone des véhicules électriques à batterie sur tout le cycle de vie est inférieur de 50 à 70 % à celui des thermiques, quel que soit le mix électrique de la région considérée. L’étude souligne que les pays possédant un mix électrique décarboné, c’est-à-dire ayant peu ou pas recours aux énergies fossiles tel que le charbon pour produire leur électricité, obtiennent les meilleures performances.
Ainsi, en France, un véhicule électrique de segment B (petite citadine) émet 81 g de CO2 par km contre 222 g pour une voiture thermique. Cependant, même un véhicule électrique vendu aujourd’hui en Allemagne, voire en Pologne, reste moins émissif qu’un véhicule thermique de même catégorie. Les auteurs expliquent cette conclusion par deux effets récents : la production en masse de batteries pour l’électromobilité a permis de diminuer significativement leur empreinte carbone à l’unité grâce à un effet d’échelle ; d’autre part, le mix électrique de tous les pays européens se décarbone progressivement.
La fabrication de la batterie : talon d’Achille du véhicule électrique
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La production de voitures électriques demande toujours beaucoup plus d’énergie que celle d’un véhicule thermique et ce, en raison des spécificités de sa batterie. Néanmoins l’empreinte carbone des batteries ne cesse de s’améliorer ces dernières années et a été divisée par deux en cinq ans.
Pour progresser encore, il est donc essentiel de produire ces batteries dans des pays où l’électricité est faiblement carbonée…en France par exemple, ce qui permettrait un gain potentiel de 25 %.
Il faut aussi et surtout favoriser l’adoption de batteries de capacité raisonnable. L’étude de Carbone 4 met en avant qu’un véhicule électrique de forte puissance (par exemple un SUV Type Audi e-tron), peut générer dans un pays comme l’Allemagne, qui représente le plus grand marché automobile européen, des émissions en cycle de vie comparables, voire supérieures à un véhicule thermique de plus petite taille. On oublie donc le SUV, trop lourd et boulimique, au profit de voitures plus modestes !
Le gros point noir des batteries électriques réside dans leur composition nécessitant lithium, aluminium, cuivre, cobalt… C’est ainsi qu’un véhicule dit vert, censé résoudre notre dépendance au pétrole, nous rend paradoxalement toujours plus tributaire de l’industrie minière ! Or l’extraction de matériaux engendre des effets environnementaux, politiques et sociaux majeurs dans les pays concernés : au Chili (cuivre), les réserves d’eau s’épuisent ; au Congo Kinshasa (cobalt), des enfants creusent au lieu d’aller à l’école ; au Gabon (manganèse), les rivières sont empoisonnées ; en Argentine (lithium), les modes de vie traditionnels sont menacés, etc., etc.
Par ailleurs, tous ces matériaux sont des ressources épuisables à plus ou moins long terme. Il n’y en aura vraisemblablement pas pour tout le monde ! À terme, nous pourrions donc nous retrouver confrontés au même problème qu’avec le pétrole…
Beaucoup misent sur le recyclage des batteries pour éluder cette question mais qu’en est-il exactement ?
Retrouvez notre comparatif des voitures électriques les plus sobres ainsi que notre article sur les subventions à l'achat d'une voiture électrique
Le recyclage des batteries de véhicules électriques : bombe à retardement ?
Les véhicules électriques étant récents, très peu de batteries sont aujourd’hui mises au rebut mais il est urgent de s’en préoccuper. En juin, Christel Bories, présidente du Comité stratégique de la filière mines et métallurgie, a expliqué devant le Sénat s’attendre à “environ 50 000 tonnes de batteries à recycler en Europe à partir de 2027, et 700 000 tonnes d’ici 2035 !”
Or, il existe plusieurs technologies de batteries. Si toutes contiennent du lithium, les autres constituants varient : cobalt avec nickel ou manganèse, ou fer-phosphate. Le poids d’une batterie de Zoé est de 326 kg tandis que celui d’une Tesla S est quasiment du double. La première peut contenir 8 kg de lithium et donc le double pour la Tesla (contre 300 g pour un vélo électrique ) ! Le recyclage s’impose.
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Usure des pneus : la pollution cachée des voitures électriques
L’atout majeur et incontestable de la voiture électrique est de n’émettre aucun gaz à effet de serre à l’usage. Nous pourrions donc au moins rêver de lendemains qui chantent pour nos poumons, surtout pour les plus fragiles d’entre nous : enfants, asthmatiques, personnes âgées.
Malheureusement, un véhicule électrique possède aussi des pneus et des plaquettes de frein dont l’abrasion produit des particules fines particulièrement nocives. Ce n’est que récemment que le grand public a pris conscience de cette autre nuisance de la voiture. D'après un rapport de l'OCDE en 2020, la pollution liée à l'usure des pneus, des freins et des revêtements routiers va devenir la pollution principale des voitures d'ici 2030. Il y a même un risque d'aggravation avec l'arrivée en masse du véhicule électrique puisqu’un des facteurs clés est le poids de ce dernier. Ces émissions augmentant sensiblement au-dessus de 70 km, il y a donc aussi un enjeu de conduite à prendre en compte.
Le problème de la production d’électricité
Par ailleurs, on doit s’interroger sur les conséquences de la voiture électrique pour le système électrique. Le gestionnaire du réseau de transport d’électricité (RTE) et Enedis ont étudié les différents scénarios de transition énergétique. L’impact de ce développement annoncé sur le système électrique apparaît principalement centré autour de la question des pics de consommation, par exemple lors des grandes journées de départ en vacances où tout le monde voudra recharger sa voiture, et de la gestion des appels de puissance, davantage que sur celui du volume d’énergie nécessaire.
Enfin, rappelons qu’il ne suffit malheureusement pas d’appuyer sur un bouton pour obtenir de l’électricité. Le passage au tout électrique ne devrait pas occulter d’autres types de problèmes environnementaux posés par la production d’énergie nucléaire et le stockage des déchets radioactifs à long terme, notamment. Les énergies renouvelables ne tombent pas non plus du ciel. La multiplication des éoliennes, par exemple, impacte les paysages et la faune, et nécessite aussi leur recyclage, etc.
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Oui à la voiture électrique, mais avec raison
En conclusion, il reste trop de questions et de problèmes à régler pour affirmer que le véhicule électrique est complètement « propre ». Certes, les technologies progressent. Il semble cependant hasardeux de tout miser sur le simple remplacement des véhicules thermiques par leurs homologues électriques pour lutter contre le réchauffement climatique. Au bout du compte, nous resterions tributaires des ressources que la planète nous fournit. Or, celles-ci ne sont pas infinies.
Les auteurs de l’étude de Carbone 4 recommandent aux pouvoirs publics d’inciter à la sobriété d’usage avec des règles basées sur la masse des véhicules et la capacité des batteries. Ils insistent surtout sur le fait que la technologie seule ne permettra pas de réduire suffisamment nos émissions dans les prochaines décennies.
Face à l’urgence climatique et à l’effondrement de la biodiversité, tous les leviers d’un changement global doivent être activés : réduire globalement le nombre et la portée des déplacements (vive le télétravail et le slow tourisme !), lutter contre « l’auto-solisme » en développant l’auto partagée, les transports collectifs, le vélo. Rappelons que l’impact carbone d’un vélo traditionnel est de 6 g de CO2/km tandis que celui d’un vélo électrique est de 9 g de CO2/km
Bien entendu, les déplacements individuels ne sont pas les seuls coupables : le transport des marchandises par cargo, camion ou avion doit absolument diminuer, et pour cela nous devons moins et mieux consommer. Dans cette démarche, comptez sur le Kaba pour vous aider !
sources :
Transport routier : quelles motorisations alternatives pour le climat ? novembre 2020 Stéphane Aumont, Nicolas Meunier et Côme de Cossé Brissac
Carbone 4
Ademe
OECD
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